06/08/2012

ABBA John Lénoune

Il devait avoir 8 ou 9 ans. 

Le type bronzé, pieds nus dans l'aube, à qui on demande de jouer avec un ballon de soccer pour ajouter une touche de mignon dans une publicité de NIKE. 

I-Pod à la main, un écouteur dans l'oreille droite, l'autre qui pendouille sur l'épaule gauche.

Devant l'étal des avocats dans un petit marché public du Vermont.

"Salut. T'écoutes quoi comme musique ?", que je lui demande, curieux, en tâtant les fruits devant moi. (Parait que l'avocat est un fruit).

Et lui, dans un anglais frippé, fier comme un paon:

"Dancing Queen. ABBA c'est le meilleur groupe du monde entier de toute la Terre..."

ABBA ? C'est la préhistoire à cet âge ! Donc, sérieux étonnement de ma part, dont je lui fait justement, part;

"ABBA, c'est pas plus de la musique du temps de tes parents ? Ou de leurs parents ?"

Mon étonnement est réel. Sa vexation aussi. Comme si j'avais craché sur ses idoles.

"Eux z'ôtres z'écoutent de la vieille musique. Les Rolling Stôônes. Les John Lénoune aussi. Les John Lénoune z'auraient pas été capables "d'inventer" Dancing Queen. C'est trop bon. J'aime pas les John Lénoune. ABBA c'est le meilleur groupe de toujours et de tout le temps".

Il me regarde, et moi, ébahi par son amour si pur pour l'une et son rejet si total pour une autre des colonnes musicales du temple de mon enfance, je ne comprends assez vite qu'il attend une approbation de ma part.

Mon silence l'insulte.

Alors il replace son deuxième écouteur dans l'oreille gauche, avec un zeste de dégoût (si, si), manière pas subtile du tout de me dire:


"Pauvre inculte, comme t'as pas l'air d'accord avec moi, j'aime autant demeurer seul avec la vérité infuse".

Et il est parti.

8 ou 9 ans, pas plus. 


Grand fan d'ABBA.

Et grand dénigreur des John Lénoune.