26/04/2011

Écrire la nuit...

Il y a de la grâce dans le monde nocturne. Se lever la nuit ç'est un peu comme entrer dans une pièce climatisée un jour de canicule. On se dit "ouf", ou "aaaaah", parce que la nuit on s'extrait de trop de bruit, de lumière, d'action avec le même genre de soulagement. Le calme de la nuit est aussi une médication à deux tranchants; il exacerbe la paix... ou la solitude. On fait forcément plus directement face à soi-même quand il y a moins de brouillard entre soi et soi. 
Mais écrire la nuit, ah là, le bonheur.

D'abord, le choix de l'instrument. Plume fontaine (la Van Gogh de Visconti, l'ultime sensualité) ou la bille (ma préférée; une Faber Castell en bois de poirier). Le choix du papier (un simple papier poreux recyclé, ou, malheureusement, modernité oblige, de plus en plus le clavier d'ordinateur). 


Le lieu: l'activité, si manuscrite elle est, me rapprochera du vieux bureau aux pattes fourchues de la pièce du fond. Sinon, mon vieux MacBook, un vrai tank qui a tout vu, a chuté et s'est même payé du café brûlant entre les touches sans jamais flancher, viendra reposer sur mes cuisses pendant l'activité. En avril, porte et fenêtre légèrement ouvertes, les oiseaux de la ville jacassent bien plus fort que les moteurs d'automobiles. Je lève la digue de l'esprit et voilà, c'est parti.

Dépendant de l'émotion, les mots prennent l'autoroute ou le petit sentier près du ruisseau. Et quand je pèse sur "pause", c'est pour m'étonner de la concordance des silences. Pratique cette manie qu'ils ont tous autour de moi de dormir aux même heures quand même. Le jour, on fait du ski nautique sur des eaux bouillonnantes. La nuit on pêche la truite dans une baie toute calme. On se rappelle un bon mot de ?: "La différence entre l'amitié et l'amour, c'est le jour et la nuit". Guitry peut-être, ça serait son genre ça. Dumas ? Hugo ? Non, pas Hugo, le vieux était trop profond. Profond, tiens, ça me rappelle, de Guitry cette fois, pour sûr: "Quand on vous dit que c'est profond, demandez-vous: c'est creux peut-être ?".

Et puis la nuit laisse le temps au temps. Tout est prévu pour le jour. Vous avez déjà eu des rendez-vous à 3 heures du matin ? Planifié un repas pour 2 heures am ? Par contre, pour la cogitation c'est excellent. Vous prenez les mots Jour et Nuit par exemple, et vous vous étonnez que des mots si semblables soient des opposés du sens. Quatre lettres chacun, deux voyelles coincées entre deux poteaux-consonnes. Phonétiquement, ils sont logiques avec leur sens. "Jour" est un son extroverti, qu'on lance vers l'avant. "Nuit", tout en retenue, fait le bruit d'une porte qu'on ferme, qui grince un peu. Et puis, on dit "Jour et Nuit" rarement "Nuit et Jour". Sauf dans une fable de LaFontaine, vous rappelez-vous soudain.

Nuit et jour à tout venant,
je chantais ne vous déplaise
Vous chantiez, j'en suis fort aise
Eh bien dansez maintenant.

Vous souriez dans la nuit, de vous souvenir. Puis, viennent vous visiter, d'autres titres: Nuit et Brouillard, de Ferrat. Les Mille et Unes Nuits (mais bien sûr !). Vous avez lu quelque part ce mot de Brigitte Bardot: "Le plus beau jour de ma vie était une nuit".  Puis, ce rappel d'un passage de la biographie de Lennon où il mentionne Bardot comme le féminin suprême. Bardot et Lennon. Yoko n'aurait pas aimé. 


Vous pourriez écrire sans fin sur le sujet. Comme un camionneur qui roule en rêvant. Mais vous ne vous étiez levé que pour boire un peu de lait.

Vous levez les yeux. La rue se dessine sous un ciel qui pâlit. 5 heures 08. Vous allez donner une chance à René Homier-Roy de vous rendre à Morphée.